© Vincent MuteauWhite dog, au Mouffetard Pauline Monnier 2 février 2018 Critique, Critique Il ne faut que quelques instants pour être capté par l’univers de White dog. Sur scène, quelques échelles et une estrade recouverte de papier blanc ne laissent pas réellement présager de ce que sera la pièce. Alors qu’un homme vêtu de blanc entre, des panneaux en papier tombent d’une des échelles suspendues, cachant presque entièrement la scène. Derrière ces paravents, l’homme inscrit quelques mots qui apparaissent en transparence grâce à la lumière qui y est projetée. Le décor est planté et le spectateur immédiatement plongé dans l’atmosphère de la pièce : lieu, date et personnages s’écrivent ou se dessinent sur ces pages blanches, de quelques traits naît un homme qui, par quelques traits supplémentaires, devient un chien. Ce chien, c’est Batka, que Romain Gary et Jean Seberg recueillent un jour dans leur maison de Beverly Hills, dans le courant des années 1960. L’écrivain et l’actrice sont vite séduits par cet animal d’une grande douceur, jusqu’à ce que la bête se montre, sans raison apparente, d’une extrême agressivité envers un réparateur télé de passage. Un réparateur noir. Le couple comprend alors que leur Batka est un white dog, ces chiens élevés pour haïr les Noirs, autrefois utilisés pour traquer les esclaves en fuite, aujourd’hui les manifestants, en cette période de défense des droits civiques. Partisans de la cause et humanistes, les maîtres vont mettre tout en œuvre pour « guérir » leur chien de la haine. Ce roman de Romain Gary, Chien blanc, est ici repris par Les Anges au plafond, « compagnie de marionnettes, ombres et musiques en direct », fondée par deux comédiens marionnettistes, Camille Trouvé et Brice Berthoud. Ce n’est pas la première fois que la troupe fait entrer Gary dans un de leur spectacle. L’ironie et le pessimisme mêlé d’espoir de l’écrivain se prêtent à merveille à ce théâtre clair obscur qui fait la part belle aux jeux d’ombres et de lumières. Les artistes font preuve d’une imagination folle – qualité dont Gary n’était pas dépourvu –, usant de multiples médias pour conter leur histoire. Ainsi se mêlent marionnette, musique, vidéo, ombres projetées… Le papier est la matière première du spectacle, tour à tour utilisé comme support pour écrire ou dessiner, pour projeter journal télévisé, ombres ou pages du Chien blanc. Les panneaux déroulés deviennent une porte ou un comptoir, quelques coups de cutter créant des ouvertures. Le mécanisme central est recouvert de feuilles et de cartons qui se soulèvent et se transforment alors en meubles. Les acteurs déposent aussi des personnages découpés sur cette estrade, avant de la faire tourner sur elle-même, illuminant les découpages qui défilent ainsi sur les murs. Et bien sûr, le matériau fait aussi partie de la confection même de la marionnette. Le marionnettiste et son pantin interagissent parfois, se répondent, comme à un autre soi-même. Le premier parvient à donner vie au second, si bien qu’on a parfois le sentiment que se noue entre eux une grande complicité, comme celle qui lie chien et maître. La marionnette est un élément central du spectacle, d’autant que la manipulation est au cœur du sujet, Batka étant ici doublement un pantin, de façon positive quand il est entre les mains de son montreur, de façon négative lorsqu’il est entre celles des hommes qui souhaitent faire de lui un instrument de haine. Les comédiens jouent aussi avec les spectateurs, les interpellent, circulent parmi eux, sont même parfois l’un d’eux. Les ombres projetées, elles, sortent de la scène et investissent les murs des gradins, entourant ainsi le public. Ainsi l’espace scénique se brouille et l’auditoire a d’autant plus l’impression d’être au cœur de l’histoire. Le spectacle nous fait passer par toutes les couleurs de l’émotion. Rire, révolte, tristesse, émerveillement, sa poésie et sa sensibilité touchent le public. La musique aux sonorités afro-américaines – jazz, groove, hip hop – souligne parfaitement l’humour, la tension, le découragement ou l’espoir. Sur un sujet délicat et difficile, les comédiens livrent une performance tout en finesse, réussissant à évoquer toutes les nuances des personnages de Romain Gary – la Jean Seberg militante et voulant qu’on la reconnaisse comme telle, le Black Panthers qui ne veut pas parler de son fils déserteur, l’ancien cascadeur reconverti en dresseur qui estime qu’« on ne peut pas rééduquer le chien, ni lui, ni son connard de maître », ou son collègue noir qui, lui, espère « retourner » Batka. « On leur donne un clébard ils en font un monde », dit l’un d’eux à propos de l’écrivain. Les Anges au plafond, eux, ont magnifiquement réussi, en y introduisant leur univers, à recréer ce monde. White dog Au Mouffetard, théâtre des arts de la marionnette Du 30 janvier au 11 février 2018 Du mardi au samedi à 20h Dimanche à 17h Jeudi 8 février à 20h : séance adaptée en langue des signes française Puis en tournée dans toute la France D’après le roman Chien blanc de Romain Gary (éditions Gallimard) Avec : Brice Berthoud, Arnaud Biscay, Yvan Bernardet et Tadié Tuené Mise en scène : Camille Trouvé assistée de Jonas Coutancier Adaptation : Brice Berthoud et Camille Trouvé Dramaturgie : Saskia Berthod Marionnettes : Camille Trouvé, Amelie Madeline et Emmanuelle Lhermie Scénographie : Brice Berthoud assisté de Margot Chamberlin Musique : Arnaud Biscay et Emmanuel Trouvé Création sonore : Antoine Garry Création lumière : Nicolas Lamatiere Création images : Marie Girardin et Jonas Coutancier Création costume : Séverine Thiébault Mécanismes de scène : Magali Rousseau Construction du décor : Les Ateliers de la MCB Laisser un commentaire Annuler la réponse Votre adresse e-mail ne sera pas publié. 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